Une vraie Démocratie Merci, merci d'être là. Je suis en train d'arpenter le pays à faire des conférences sur un sujet sur lequel je travaille depuis six ans, et je suis sur un chantier qui devrait... ... je pense qui devrait vous intéresser, qui est très mal traité dans nos médias ; qui est pourtant un sujet apparemment galvaudé qui est celui de la démocratie. Et... À l'occasion du débat référendaire de 2005, et donc en étudiant ce qui s'est avéré être à l'étude une anti-Constitution, puisque le traité consitutionel européen est en fait une anti-Constitution, c'est-à-dire un texte qui sert à détruire les Constitutions nationales. Je vais vous expliquer un petit peu ce que je veux dire quand je dis ça. En étudiant une anti-Constitution, je me suis réveillé. C'est-à-dire que j'étais politiquement complètement endormi, j'étais comme la plupart d'entre nous un électeur, sans engagement, sans parti, sans syndicat, même sans association. Je m'occupais de mes petites affaires comme la plupart des gens. Et, en 2005, le débat référendaire... à l'occasion d'une anecdote qui a tourné les regards sur moi, et je dis pas ça pour parler de moi, je dis ça parce que je réfléchis maintenant aux institutions qui sont capables d'opérer la même chose que ce qui s'est passé chez moi chez un plus grand nombre de personnes, et les Athéniens faisaient ça très bien. C'est-à-dire que les humains sont sensibles, la plupart des humains sont sensibles au regard des autres. Nous sommes animés par le... souvent, nous sommes animés par ce que les autres attendent de nous et nous sommes retenus, nous considérons souvent comme une limite le regard suspicieux ou réprobateur des autres. C'est-à-dire que le regard des autres, bienveillant ou réprobateur, nous aide à nous conduire bien ou mal. Et c'est ça qui s'est passé je pense, pour moi, en partie. Enfin, pour ce qui est de mon ressort pour agir, faire de la politique, essayer de comprendre, me mettre à travailler pour le bien commun. Et finalement, après l'intense émotion que j'ai vécue pendant deux mois, trois mois, pendant la période référendaire mars-avril-mai-juin 2005. Je me suis pas arrêté, c'est-à-dire que pendant trois mois on a contesté l'anti-Constitution européenne. On en parlera un petit peu, peut-être, sur les questions si vous avez... Je vais essayer, j'ai du mal, hein, je vais essayer d'être court pour qu'on ait de la place pour les échanges, parce que moi je viens chercher des choses aussi, hein, auprès de vous. Le piège politique Donc après avoir critiqué une anti-Constitution, qui était la Constitution européenne, je me suis demandé : qu'est-ce qu'on fait à la place ? Est-ce qu'on peut construire quelque chose à la place ? Et donc j'ai eu plusieurs chantiers qui se sont mis en place dans ma tête. Je cherche à... décrypter, détailler les éléments du piège politique dans lequel nous sommes à peu près partout dans le monde. Nous sommes dans un piège politique qui a des caractéristiques communes dans tous les pays du monde ; notamment en inversant le sens des mots, en inversant carrément le sens des mots comme Orwell le signalait dans « 1984 ». Vous savez, Big Brother et la novlangue privaient les gens qu'ils voulaient dominer de la possibilité même de résister en inversant le sens des mots et en supprimant carrément les mots qui permettent de désigner le problème, on nous affaiblit. Et il y a un vrai travail à faire, que nous devrions tous faire, sur la réappropriation du vrai sens des mots qui contiennent les solutions et que nous ne savons plus même voir parce que nous leur donnons un sens inversé. Et puis, et puis je travaille aussi sur une alternative, je cherche... Ah ben voilà ! C'est gentil. Ça marche ça ? Vous m'entendez bien ? Je cherche de façon constructive, réaliste, pas du tout utopique, je cherche à instituer, à imaginer un système d'institutions qui, enfin, nous protégerait contre les abus de pouvoir. Donc en fait l'épine dorsale de tout mon travail, c'est... - l'épine dorsale ou le fil d'ariane - de tout ce que je fais en matière politique depuis six ans, c'est... Quelles sont les causes des abus de pouvoir ? Qu'est-ce qui rend possibles les injustices sociales ? Et je vais vous exposer là où j'en suis dans ce chantier ; et puis comment est-ce qu'on peut faire pour s'en protéger efficacement et durablement ? Et là aussi je crois que j'ai... je trouve des pistes, c'est-à-dire en cherchant je trouve... Mais je viens pas avec une pensée finie, bouclée, terminée, un paquet... Je viens rien vous vendre, parce que je suis candidat à rien. Il y a des tas de gens qui me demandent de me présenter. Il n'en est juste absolument pas question. Je refuse même l'idée d'exercer un pouvoir comme on refuse de se droguer. Je sais bien que si je me droguais ce serait délicieux, je vois bien que les gens qui se droguent sont dans un monde, mais en même temps je sais que c'est super dangereux, donc je me drogue pas. Eh bien, c'est pareil avec le pouvoir. Je veux rester lucide, essayer de servir à quelque chose sans m'abîmer. Quand on étudie l'histoire des hommes, il y a pratiquement pas d'exception : le pouvoir corrompt, le pouvoir change les gens en mal ; l'argent aussi, mais le pouvoir corrompt... Voilà donc je viens pas en essayant de vous convaincre, je compte pas les voix, mais par contre je crois que nous avons tous besoin les uns des autres pour mettre en place et pour vouloir l'idée que je vais défendre et qui à mon avis peut marcher. Il s'agit d'instituer une vraie démocratie. Chercher la cause des causes Ce sur quoi je voudrais me concentrer c'est : qu'est-ce que c'est qu'une Constitution ? Quel rapport y a-t-il avec les injustices sociales ? En quoi ces injustices sociales, les combats contre les injustices sociales sont de nature à nous diviser si nous nous occupons des conséquences au lieu de nous occuper des causes ? Et qu'est-ce qu'il faudrait changer pour que nous ayons enfin une vraie Constitution ? Alors, moi je suis un bizu en politique - donc ça fait cinq-six ans que je fais de la politique - et je suis amené à côtoyer des résistants, des vieux résistants qui ont quarante ans de vie politique. Tous les mercredis ils vont distribuer des tracts sur les marchés, ils font des réunions sans arrêt, ils réfléchissent sans arrêt au bien commun depuis des dizaines d'années. Chacun son secteur, j'observe, chacun son secteur. Celui-là a fait une priorité, parce que ça lui semble vraiment décisif, essentiel, il a fait une priorité des injustices dans l'entreprise. Ce droit injuste qui donne tous les pouvoirs au propriétaire dans l'entreprise et quasiment aucun pouvoir ou très peu aux salariés qui n'ont que leur force de travail, pour lui c'est essentiel, et il se bat contre ça. Il essaie d'améliorer la situation des travailleurs dans les entreprises. Mais tel autre militant, qui lui aussi se donne beaucoup de mal, travaille sur l'écologie, les catastrophes écologiques qui sont de plus en plus menaçantes. Et pour lui... celui-là c'est le nucléaire qui lui paraît le danger le plus gravissime ; cet autre, ce sont les OGMs, etc. Je détaille pas. Ce que je veux dire, c'est que je rencontre des centaines de personnes qui ont chacun une spécialisation dans la résistance en prenant à bras le corps une injustice sociale - c'est le mot que j'utilise pour regrouper toutes ces résistances - une injustice sociale contre laquelle ils se battent, sur laquelle il devient expert, il devient très savant sur les mécanismes de l'injustice et la rouerie de ceux qui l'animent, et souvent il est amené à considérer comme un ennemi, et ça ça m'étonne, à considérer comme un ennemi un autre résistant qui se bat lui aussi contre une injustice sociale qui a rien à voir, mais qui est importante aussi. Par exemple, l'exemple qui me vient à l'esprit quand je vous dis ça, c'est le militant anti-nucléaire, qui est vraiment... ... qui a une perception d'un danger imminent, vital, hyper urgent donc, en a fait une absolue priorité, et ce militant, quand il va être côte à côte avec un autre militant qui lui se bat contre le fascisme financier, la prédation financière, et qui en fait, lui, sa priorité absolue, mais qui est pro-nucléaire, parce qu'il considère que le nucléaire c'est le progrès, c'est... Bon pour l'instant c'est sale mais ça finira par être propre... Ils peuvent se haïr ces deux-là, ils peuvent se haïr au dernier degré, alors que de mon point de vue, ils sont tous les deux des résistants relativement héroïques, tout seuls dans leur coin, ils y passent tout leur temps, toute leur énergie, et leur combat vaut la peine de part et d'autre. Et leur désaccord mériterait un débat, une discussion et puis on votera, on fera un référendum, on verra quoi, hein ; pas de quoi s'empailler au moment de résister. Alors, ce que je veux dire, c'est... Je pourrais développer là-dessus mais je vais résumer. Ce que je veux dire c'est que tous ces résistants ont un point commun, c'est qu'ils se battent sur ce que j'analyse, moi, comme des conséquences. Les conséquences d'une cause qui elle est commune. Je pense que toutes ces injustices sociales, j'analyse ça comme ça, donc, peut-être que je me trompe, hein, je suis pas omniscient ; mais il me semble, moi, que toutes ces injustices sociales ont un point commun, une cause commune qui est notre impuissance politique. Notre... Et vous êtes concernés, comme moi, je crois, sauf si vous êtes... ... même si vous êtes parlementaires. Notre impuissance politique générale est je trouve une cause commune de la difficulté que nous avons à résister à toutes les injustices sociales, pratiquement toutes. Et si vous voulez, je suis une méthode qui est précieuse, et je pense qu'elle me servira toute ma vie, j'ai découvert ça, je trouve que c'est très très utile, j'ai découvert un conseil d'un gars qui s'appelait Hippocrate, dans l'Antiquité, qui était médecin, et qui disait... Il a résumé une idée qu'il nous a léguée, qu'il nous a laissée, qui est très utile, très logique, très pratique, très pragmatique. Il nous a laissé juste ces quelques mots : « Cherchez, disait Hippocrate, cherchez la cause des causes. » Et puis il est mort, il a disparu mais il nous a laissé ça. « Cherchez la cause des causes. » Et c'est très malin ça je trouve. C'est-à-dire que... On peut prendre un ou deux exemples : on ne soigne pas une maladie en s'en prenant aux symptômes ; tout le monde comprend ça je crois. On soigne une maladie en cherchant la cause de la maladie et en s'en prenant à la cause, on règle la maladie. Et s'il y a plusieurs causes, ce qui est souvent le cas, pratiquement tout est multifactoriel, s'il y a plusieurs causes, on ne s'attaque pas à n'importe quelle cause, on essaie de remonter vers la source, c'est une autre image, on essaie de remonter vers la source pour prendre la causalité première, pour détecter et se débarrasser de la causalité déterminante, qui détermine les autres. Et j'ai bien intégré ça. J'ai intégré cette méthode de recherche et c'est elle que j'utilise. Donc quand je regarde toutes ces injustices sociales, je me contente pas de me bagarrer sur la corruption. J'essaie de trouver la cause de la corruption. Je me bagarre pas contre les banquiers qui sont en train de nous ruiner. J'essaie de comprendre qu'est-ce qui fait que ces banquiers ont le pouvoir et moi aucun. Vous comprenez ce que je veux dire ? Je m'en prends pas au banquier en disant : « Il est mauvais alors que nous sommes bons. » Pas du tout. Je raisonne pas dans ces termes. J'essaie de comprendre quelle est la cause, la cause principale de mon impuissance politique. Et je raisonne bien sûr en commun puisque je raisonne pour la cité, pour notre corps social. Une vraie Constitution Quand on sort des études de droit, on a l'impression que la Constitution... On sait que c'est un outil qui protège les gens, mais je pense qu'on le sait pas assez bien, et puis surtout ce qui est pas bien c'est qu'on ne l'enseigne que dans les facs de droit. Je pense que tous les citoyens devraient savoir, mais depuis l'âge le plus tendre, depuis le plus jeune âge, les gens devraient apprendre ce qu'ils ont à gagner et à perdre à avoir une bonne ou une mauvaise Constitution. Alors je vous explique en deux mots : l'idée de la Constitution elle est simple, elle est simple et elle géniale. Elle est faite pour nous sauver. On a besoin de ça, c'est ça dont on a besoin aujourd'hui - je referai tout à l'heure, je reviendrai sur le lien avec nos problèmes -. Mais pour le dire en deux mots, dire ce que nous devrions expliquer à nos enfants quand ils sont petits, mais ce que nous devrions ensuite entretenir dans notre esprit, entre nous, pour pas perdre de vue l'essentiel. Si je mets le peuple en bas, le groupe d'humains qui veut faire société, qui tant qu'il n'a pas le droit écrit, donc l'État de droit, se tape sur la figure et vit des moeurs brutales, et qui pour se pacifier, il y a à peu près 2500 ans d'ailleurs, pour se pacifier, décide de se soumettre à un droit qui va lui être supérieur et qui va empêcher les plus forts, en gros, d'imposer « leur loi » entre guillemets ; qui, précisément, n'est pas une loi. La loi du plus fort c'est pas une loi, c'est une vue de l'esprit. En tout cas, pour éviter que les plus forts n'abusent des autres, la collectivité humaine met en place un droit, donc des règles écrites qui sont produites, qui sont écrites par des pouvoirs qui sont au-dessus de nous... Donc nous consentons à mettre en place, on dit « instituer », des pouvoirs qui vont avoir le pouvoir très important pour nous de produire du droit auquel on va consentir, très important mais en même temps très dangereux. C'est-à-dire que ces pouvoirs que nous acceptons de mettre au-dessus de nous, ils sont à la fois très utiles et très dangereux. Alors, compte tenu de ça, très tôt les humains, mais il y a des milliers d'années déjà, les humains, compte tenu de ce danger, parce qu'ils sont pas fous, ils ont prévu des règles qui sont au-dessus de ces pouvoirs, des règles supérieures qui s'imposent à ces pouvoirs pour nous protéger. Ces règles supérieures s'appellent le droit du droit, s'appellent la Constitution. La Constitution, c'est du droit, mais c'est du droit supérieur qui est chargé d'inquiéter les pouvoirs, de les affaiblir, d'affaiblir les pouvoirs pour nous protéger, nous. Ça, un enfant le comprend. Un enfant devrait le savoir. Un adulte aussi le comprend. Nous devrions être pétris de cette organisation protectrice et nous devrions défendre cette idée précieuse, protectrice, apaisante qu'est une Constitution. Attention ! Une vraie Constitution, pas une fausse. On va voir que ceux que j'appelle les « voleurs de pouvoirs » sont champions pour inverser les mots, y compris le mot « Constitution ». C'est-à-dire qu'ils sont champions pour appeler Constitution ce qui est en fait exactement le contraire, parce que c'est pas parce que vous mettez un texte que vous êtes débarrassé du problème. Il faut que ce texte, je répète, le texte supérieur... Il faut pas seulement qu'il organise les pouvoirs. Les pouvoirs n'ont pas besoin de nous pour s'organiser. Une Constitution ça sert pas à organiser les pouvoirs. Une Constitution ça sert à affaiblir les pouvoirs, à inquiéter les pouvoirs pour nous protéger, pour protéger tout le monde de tous les abus de pouvoir, pour nous protéger tous, à tout moment, riches, pauvres, jeunes, vieux, pour nous protéger tous d'un maximum d'abus de pouvoir, il y a la Constitution. Une fois qu'on a compris ça, normalement, on est tout prêt à comprendre que la personne qui va écrire, les personnes qui vont écrire ce texte supérieur chargé d'inquiéter le niveau de ceux qui vont produire le droit, c'est-à-dire les parlementaires, les juges, les ministres, les présidents, même les hommes de médias. Si la Constitution se met à s'occuper des médias, les journalistes aussi devront craindre la Constitution ; les banques, puisque le pouvoir monétaire aussi devrait faire partie d'une Constitution moderne dans laquelle les pouvoirs seraient séparés, on en parlera tout à l'heure peut-être. Ces pouvoirs, là, qui sont au niveau qui produit des règles que nous craignons, nous, ces pouvoirs-là, vous avez compris, doivent craindre la Constitution pour nous protéger, nous, vous comprenez, comme ils sont utiles et dangereux, il faut qu'ils aient quelque chose à craindre. C'est une folie de laisser ces gens-là écrire la Constitution. Vous comprenez bien que si les hommes au pouvoir écrivent eux-mêmes les règles du pouvoir, les règles qu'ils sont censés craindre... Est-ce que c'est clair ? Moi je trouve ça... Moi, ça me paraît pas compliqué et très important. Et je suis très surpris que ça soit pas plus dans le débat des gens normaux. Alors que ce soit pas dans le débat des parlementaires, des ministres, des hommes de pouvoir, ça, ça m'étonne pas. Que ce soit pas dans les discussions des hommes de parti qui... Bon je sais bien qu'il y a des gens supers dans les partis, j'ai plein de copains dans les partis, mais à la tête des partis il y a quand même des gens qui sont... Il y a comme un filtre, hein, on dirait que les partis arrivent à choisir parmi nous les plus menteurs, les plus résistants aux mauvais traitements, les plus traîtres, les plus... Enfin on dirait que... pas tous, hein... Je sais bien qu'il y en a qui sont pas... Enfin, en gros, quand même, on dirait... 'fin, les gens qui sont à la tête des partis ne nous ressemblent plus, quoi. On dirait qu'il y a eu un tamis. Donc ça m'étonne pas que parmi ces gens-là ils parlent pas de Constitution. Mais que nous, dans le contexte actuel qui est quand même favorable pour moi pour vous expliquer ça, parce qu'aujourd'hui les abus de pouvoir on les voit, mais c'est impressionnant quand même ! Tous les jours on en a quatre-cinq nouveaux, considérables, de nouveaux abus de pouvoir révoltants ! Et toujours, toujours quelque chose qu'on arrive même plus à formuler tellement c'est quotidien, toujours notre impuissance politique. Contredisez-moi si j'exagère, si je dis quelque chose qui est... ... si je suis extrémiste. Cette « démocratie » qu'on nous vante comme « ce qui se fait de mieux sur Terre en matière politique », qu'est-ce qu'elle me laisse comme droits ? Le droit de désigner tous les cinq ans des maîtres politiques qui vont tout décider à ma place. C'est pas moi qui vote les lois, donc je désigne des gens qui vont les voter à ma place et qui sont mes maîtres. Je les désigne parmi des gens que je n'ai pas choisis : ce sont des faux choix. Quand je choisis entre l'affreux A et l'affreux B, oui, c'est un faux choix. Je ne peux pas choisir autour de moi des gens que je considère comme bien. Pas du tout, librement, je peux pas du tout faire ça. Cette « démocratie », soi-disant, ne me laisse comme possibilité que le droit de désigner des maîtres, parmi des gens que je n'ai pas choisis et contre lesquels je ne pourrai rien faire pendant cinq ans, je dis bien rien faire pendant cinq ans ; je pourrai descendre dans la rue si ça m'amuse, ils s'en tapent complètement. Je ne pourrai rien faire s'ils me trahissent, même s'ils me trahissent au dernier degré. Je ne peux rien faire. Tout ce que je peux faire, c'est à la fin du mandat, ne pas réélire la crapule qui vient de me trahir pendant cinq ans. J'exagère, là, je force un peu, mais c'est pour vous dire. Je ne dis pas qu'ils sont tous des crapules. Encore que... Non, je dis pas qu'ils sont tous des crapules. Mais ce que je dis, c'est que même si c'est une crapule finie, et il y en a quelques-unes quand même, même si c'est une crapule finie, tout ce que je peux faire c'est ne pas le réélire, le pauvre chéri. Le pauvre chéri de crapule. Parce que, en fait, c'est pas grave ce qui va lui arriver. Parce que si je le réélis pas, je vais réélire l'autre, celui que j'ai jeté cinq ans avant parce qu'il m'avait trahi les cinq années d'avant, et j'ai que ce choix-là. J'ai que le choix entre deux grands partis. Quand je suis pas content d'un, je prends l'autre ; et quand je suis pas content de l'autre, je reprends l'un ; ils sont à mi-temps. Et ils se sont votés un chômage, vous ne le croirez pas, je ne sais pas si vous êtes au courant, ils se sont votés un chômage qui dure... cinq ans. C'est-à-dire qu'ils continuent à être payés comme si on les avait élus, alors qu'on les a précisément pas réélus, ils continuent à être payés le temps d'attendre que l'autre se fasse virer... Bon, et ils appellent ça « démocratie ». L'éveil politique À cinquante ans, j'avais pas bien compris ce que c'était qu'une démocratie. Et donc j'acceptais, j'acceptais comme vous, comme tout le monde, hein, une espèce de leçon incroyable où on me dit, depuis que je suis petit : « Élection égale démocratie. Mon petit, répète : démocratie égale élection. Élection égale démocratie, démocratie égale élection, élection égale démocratie, démocratie égale élection... » Et on me répète ça à l'école, on me répète ça dans les journaux, à la télévision, dans les livres... Des livres qui parlent de la démocratie, moi j'en ai... je sais pas... ... spécifiquement de la démocratie, de l'organisation démocratique... ... quatre ou cinq cents peut-être. Il y en a là-dessus, disons sur 400 livres, il y en a dix qui parlent vraiment de la démocratie, qui parlent de la démocratie digne de ce nom, de la démocratie « dêmos kratos », « le pouvoir du peuple ». Les autres parlent de nos régimes actuels, qu'il faut refuser d'appeler « démocratie ». Le régime dans lequel nous vivons porte un autre nom. Il s'appelle le gouvernement représentatif. On pourrait dire le gouvernement prétendument représentatif. Mais appelons-le par le nom qui est l'étiquette officielle, d'origine, 1789, 1776 aux États-Unis ; les fondateurs de nos régimes ont mis en place pas du tout une démocratie. Ils savaient très bien ce que c'était une démocratie, ils voulaient pas de démocratie, c'étaient des notables. C'étaient pas les 99 % qui ont fait la Révolution française, hein. Quand Sieyès a écrit : « Qu'est-ce que le Tiers état ? »... Vous savez, le Tiers état, pendant la Révolution française, c'était après les nobles, après le clergé, vous aviez tout le reste, c'était le Tiers état. C'était le troisième ordre. C'était ce qu'on pourrait... On pourrait dire aujourd'hui les 99 %. Le problème, c'est que Thiers... pardon pas Thiers, c'est un autre affreux. Sieyès, en 1789, un grand penseur, l'abbé Sieyès, un grand penseur de la Révolution française, quand il a écrit « Qu'est-ce que le Tiers état ? » et quand il a pensé le système de remplacement de l'Ancien Régime, Sieyès pensait au 1 % dans le Tiers état. Il pensait aux riches affairistes, les banquiers parmi le Tiers état. C'est eux qui ont financé les guerres du blé, les guerres des farines, qui ont affamé les gens pendant les trois ans qui ont précédé la Révolution française, qui ont fait que le peuple s'est soulevé contre ses maîtres qu'il ne supportait plus, pour ensuite prendre leur place. Mais donc le peuple s'est fait manipuler, d'ailleurs Talleyrand... Faut que je fasse attention avant de dire... non, je peux dire « cette crapule de Talleyrand », je peux dire ça. Je vous conseille d'écouter... Je vais faire une petite parenthèse, c'est pas grave. J'avais dit que j'en ferais pas, mais je vais en faire quand même : je vous conseille chaleureusement de découvrir un historien qui s'appelle Henri Guillemin. Vous cherchez « Guillemin » sur Internet, « Guillemin Napoléon », « Guillemin la Commune », « Guillemin 14-18 ». Vous allez trouver des conférences télévisées. Ce gars-là est mort, il nous a laissé quelque chose de merveilleux, c'est un vrai trésor, je vous jure que c'est un vrai trésor. J'en ai écouté deux en venant vous voir, deux ou trois. C'est une conférence d'une demie-heure. Il nous explique comment est né le gouvernement représentatif. Il nous explique la Troisième République, [NdT : 1870-1940 en France], la République des affairistes, la République pour rire, la République des « honnêtes gens », ça voulait dire des possédants, la République des « modérés », la République « centre-gauche », c'est-à-dire des banquiers, des banquiers colonialistes qui sont allés piller volontairement les pays d'Afrique... ... qui s'appelaient « centre-gauche », qui s'appelaient « démocrates », qui s'appelaient... comment ils s'appelaient encore... « progressistes ». Tous des banquiers affairistes. Rien à voir avec la gauche. Enfin, l'idée qu'on pourrait se faire de la gauche. Donc c'est très important, je crois. J'en vois plein qui sont tout jeunes, qui ont vingt ans, vingt ans ou trente ans on dirait, enfin même pas. Moi je me suis réveillé à cinquante ans. J'enrage de pas avoir commencé plus tôt. Il faut du temps quand même pour découvrir tout ça. Il faut s'en occuper ; si vous commencez à vingt ans vous avez de la chance, quoi. Il y a... non c'est vrai, il y a beaucoup de choses à découvrir... On ne comprend bien le présent que si on étudie, et puis il faut bosser un peu mais c'est délicieux ! Il faut bosser l'histoire, quoi. Quand vous découvrez comment Bonaparte, puis Napoléon a été poussé par les banquiers privés pour prendre le pouvoir en France, assassiner les idées de la Révolution, créer la banque dite « de France » qui est pas du tout de France, qui est la banque des banquiers qui ont poussé Napoléon... Ça éclaire ce qui se passe aujourd'hui, ça permet de comprendre ce qui se passe aujourd'hui, ça n'a pas changé. Mais c'est très important pour imaginer la solution de bien comprendre, de bien connaître les données du problème. C'est-à-dire que tant qu'on se fait enfumer avec les mots, et qu'on appelle les mots du sens de leur contraire, qu'on appelle les mots... Quand on accepte de donner aux mots une définition qui est l'inverse de ce qu'elle devrait [être], on arrive pas à formuler la solution. Nous ne vivons pas en démocratie, nous vivons volontairement... C'était sciemment que Sieyès a écrit les règles du gouvernement représentatif, c'est-à-dire un régime dans lequel le peuple ne vote pas ses lois, le peuple n'est pas autonome, il ne vote pas lui-même ses lois, il est hétéronome, il subit les lois écrites par d'autres. En bas de la page 11 je vous ai mis une citation de Sieyès qui permet de comprendre quel est le régime dans lequel nous vivons depuis le début. Nous ne vivons pas dans une démocratie qui s'est abîmée, nous vivons depuis le début dans un régime qui est un renoncement à la démocratie. Donc c'est très important de le savoir pour ensuite imaginer une alternative. Que disait Sieyès : « Les citoyens qui se... » - Donc c'est l'abbé Sieyès qui parle, hein. 1789. - « Les citoyens qui se nomment des représentants - qui se nomment à eux-mêmes, hein - des représentants renoncent, et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi. Ils n'ont pas de volonté particulière à imposer. S'ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif, ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, - dit Sieyès - dans un pays qui n'est pas une démocratie, et la France ne sauraît l'être, le peuple ne peut parler, ne peut agir, que par ses représentants. » La démocratie et le tirage au sort Si, découvrant, découvrant, découvrant que... découvrant dans ce bouquin-là, que je vous recommande, mais alors je vous le recommande... Depuis que j'en parle, ça fait maintenant un an que je fais des conférences là-dessus, un an... ... un peu plus... C'est un livre qui m'a remué, qui m'a transformé, qui vous transformera je crois. C'est un livre important, ce livre dont je vais vous parler, pourtant il a un titre qui est pas sexy du tout ; si vous voyez ça dans une bibliothèque sans que je vous en aie parlé avant, vous allez probablement passer votre chemin en vous disant : « Celui-là, ce sera un autre jour. » L'auteur s'appelle Bernard Manin et son livre s'appelle « Principes du gouvernement représentatif ». Ce truc-là... En fait, c'est un livre essentiel. C'est un livre qui parle de l'élection et du tirage au sort. C'est un livre qui s'étonne de ce que le tirage au sort ait complètement disparu de la réflexion politique. Et, s'étonnant de ça, il essaie de faire un... comment dire ?... ... un état des lieux honnête des avantages et inconvénients de la démocratie, du tirage au sort et de l'élection. Quand est-ce qu'on a utilisé l'élection ? Comment ça a marché ? Est-ce que ça a donné satisfaction ? Qui en parlait et à quel moment s'est passée la transformation ? Et comme nous n'avons jamais entendu parler de tirage au sort, puisque... Enfin, peut-être que vous en avez entendu parler. Moi, de toute ma scolarité, y compris en droit, on m'avait jamais parlé de tirage au sort. Et quand on m'avait parlé de démocratie avec l'existence du tirage au sort, on m'en a parlé comme d'une bizarrerie et puis on est passé rapidement à autre chose. J'ai pas du tout vu la centralité du tirage au sort en démocratie. Et on la découvre avec Manin de façon très vivante, très tonique, c'est littéralement passionnant. Et puis il y a toute une biblio[graphie], toute une biblio qui va vous conduire à lire d'autres bouquins sur la démocratie, la vraie ! La vraie, celle d'Athènes, et celle qui pourrait être la nôtre si nous la voulions ! Il faudrait que nous la voulions pour qu'elle advienne. Je vous en parlerai à la fin. Mais des livres comme celui de [Hansen ?], qui décrit minutieusement, qui a passé sa vie à travailler... ... tout ce qu'on peut savoir sur Athènes, donc tous les documents, de près ou de loin... C'est un grand savant qui a écrit plusieurs forts volumes sur la démocratie athénienne à l'époque de Démosthène et qui pour nous en a fait un seul bouquin. Donc c'est résumé, c'est passionnant. C'est la vie des Athéniens qui tous les matins vont à l'assemblée... Enfin, quand ils se présentent à l'assemblée, l'assemblée fait 6 000 personnes et il y en a 2 000 qui se présentent au tirage au sort. Et tous les jours ça tire au sort. Alors, je vais vous l'expliquer en quelques mots, et puis je vais vous laisser venir avec les objections. J'en connais plein des objections. Je commence à être bien rôdé, mais peut-être que vous allez avoir des objections que je connais pas. Je suis friand de ça, je cherche ça, hein. Je cherche pas à avoir raison, je cherche à imaginer un système robuste, qui marche, qui soit pas une utopie, qui soit un truc, si j'ai tort, si je me trompe, je m'adapterai, je changerai, je ferai autre chose. Pour l'instant, j'ai l'impression de tenir quelque chose de solide ; je vais le mettre au feu de vos objections. Les Athéniens Les Athéniens, donc il y a 2 500 ans, hein, les Athéniens... Petite cité, 60 000 citoyens, plus ou moins, suivant les périodes, suivant les pestes, ça a duré 200 ans. Les Athéniens, après 800 ans de tyrannie et à l'occasion d'une réforme d'un des notables - c'est quelqu'un de la haute, Solon -, qui a commencé les réformes athéniennes, qui a commencé à changer la mécanique du pouvoir pour protéger le corps social des abus de pouvoir. Les Athéniens commencent à mettre en place un régime dans lequel ils écrivent eux-mêmes et ils votent eux-mêmes les lois auxquelles ils obéissent. C'est-à-dire qu'ils se réunissent dans une assemblée, une grande assemblée, 6 000 places, et vient qui veut. Comme aujourd'hui, il y en a plein qui ne venaient pas. C'était pas tout le temps les mêmes ; il y avait un ordre du jour, qui était publié sur l'Agora, et on venait à l'assemblée quand les sujets nous intéressaient. Je vais peut-être déminer tout de suite l'objection la plus fréquente qui est que les Athéniens, le peuple athénien, donc les citoyens se reconnaissant comme citoyens à Athènes n'étaient pas tous les humains. Il y avait la moitié de l'humanité qui était à l'écart : les femmes n'avaient pas de droits politiques, et il y avait des esclaves ; les esclaves n'avaient pas de droits politiques non plus. Les étrangers qu'on appelait les « métèques », à l'époque, n'avaient pas de droits non plus, et puis, bien sûr, les enfants et les animaux non plus. Ce que je veux dire c'est qu'il y a des points communs encore aujourd'hui ; encore aujourd'hui, les enfants, les animaux, les fous... On a encore, nous, des êtres vivants qui n'ont pas de droits politiques. Surtout ce que je veux dire pour déminer ce truc-là, pour que ça vous taraude pas parce que je sais qu'il y en a qui le savent et que ça empêche d'avancer dans le sujet. Je sais bien qu'ils étaient esclavagistes et phallocrates, mais c'est pas ça qui m'intéresse. Je ne suis pas, moi, esclavagiste et phallocrate. Ce que je veux dire, c'est que je ne vous suggère pas de transposer aujourd'hui, comme si c'était un modèle, le régime d'Athènes ; c'est évidemment pas ça dont il est question. Ce que je souligne, c'est que tous les peuples de l'époque - il y a 2500 ans c'est autre chose qu'aujourd'hui -, tous les peuples à l'époque traitaient mal leurs femmes et avaient des esclaves. C'était pas spécifique à la démocratie. Et la démocratie aurait très bien fonctionné sans ça. Ou en tout cas aujourd'hui... Peut-être qu'à l'époque elle aurait pas fonctionné sans ça, parce que les femmes faisaient tout un travail qui dispensait les hommes d'avoir à le faire et qui leur libérait du temps pour faire de la politique. Les esclaves aussi, ils libéraient du temps pour les hommes. Mais aujourd'hui, nous aurions avec le pétrole et les machines, nous aurions, mais largement, de quoi nous libérer du temps pour faire tous de la politique sans avoir besoin d'esclaves, et nous aurions les femmes avec nous, évidemment, dans l'assemblée. Ce que je veux dire c'est que cette objection elle ne vaut rien. Objectivement, cette objection, elle ne vaut rien. Je comprends qu'un élu, un élu qui veut qu'on arrête de réfléchir au tirage au sort qui va le foutre au chômage, c'est normal qu'il me dise : « Mais M. Chouard, vous savez que vous êtes en train de défendre un régime qui était esclavagiste ? - Oui, oui, je sais. - Mais vous seriez pas esclavagiste, par hasard ? - Non, non, je suis pas esclavagiste. » Ce que j'observe c'est qu'à Athènes, dans le petit peuple d'Athènes... Donc là je parle des citoyens athéniens qui étaient... Donc on avait retiré les femmes, OK ; dans ce qui restait dans ce peuple de l'époque, il y avait beaucoup de pauvres, presque tous étaient pauvres, et il y avait très peu de riches très riches. Ah ça, ça par contre ça ressemble à aujourd'hui. Et écoutez-bien : pendant 200 ans, 200 ans de tirage au sort - et on va voir comment le tirage au sort garantit ça -, pendant 200 ans de tirage au sort quotidien, les riches n'ont jamais gouverné. Pas un jour. Et d'ailleurs les philosophes, Platon, Aristote, ont passé leur vie à baver sur la démocratie, à dire du mal de la démocratie, parce que... Qu'est-ce que c'est que ce régime dans lequel les pauvres, la populace, les pauvres dirigent, dirigent mal, ils mentent, ils apprennent à mentir... Donc Platon a calomnié, le mot n'est pas trop fort, Platon a inventé des maux que quelqu'un qui ensuite étudie la démocratie démonte ; il démonte ses mensonges. Platon aurait dû être, c'était un noble, quelqu'un qui aurait dû être le patron, un des patrons de la cité, et, pas de pot, il a vécu à l'époque de la démocratie. Donc il a raté sa carrière politique à cause de la démocratie. Donc il a passé sa vie à écrire du mal sur la démocratie. Il faut le savoir. Bon, il a dit des choses très intéressantes, sur nous, notre condition ; je ne conchie pas la totalité de Platon. Je vous invite simplement à être méfiant sur ce que Platon vous dit de la démocratie, parce qu'il a un compte à régler, un compte personnel, et qui à mon avis ne correspond pas à l'intérêt général. Il respecte mal l'intérêt général, Platon, quand il nous parle de la démocratie. Donc il faut le savoir quand on lit Platon. Et Aristote c'est pareil. La plupart des philosophes disaient du mal de la démocratie. Donc, les Athéniens pour se protéger des abus de pouvoir, constatant depuis 800 ans que le pouvoir change les gens, les transforme, et des gens qui étaient bien au départ se mettent à devenir des fous furieux et se mettent à servir des intérêts particuliers plutôt que l'intérêt général ; constatant ça et pragmatiquement... C'est pas du tout idéaliste, c'est très concret, c'est du même coup très robuste et ça marcherait très bien aujourd'hui. Les Athéniens ont mis en place un système de rotation des charges... Vous savez, dans nos conversations, on a encore ça ; je suis sûr que dans vos conversations, souvent vous dites : « Le problème, c'est la professionnalisation de la politique, que ce soit toujours les mêmes qui exercent la politique, ça tourne pas assez dans la politique. » Souvent on dit ça, encore aujourd'hui. Eh bien les Athéniens ont réglé le problème en instituant la rotation des charges : c'est-à-dire des mandats courts, un an maximum, souvent six mois, plus courts, même le patron d'Athènes était tiré au sort tous les jours ; tous les jours il était tiré au sort, le chef d'Athènes. Donc des mandats courts, non-renouvelables, qui garantissaient aux Athéniens, donc aux autres, qui garantissaient un amateurisme politique. Les Athéniens ne voulaient pas de professionnels de la politique. Ils n'en voulaient pas, comme ça, dans l'absolu, ils n'en voulaient pas pour se protéger eux-mêmes contre les abus de pouvoir. Ils disaient, et ils savaient, alors... C'était un postulat. Ils postulaient au départ une égalité politique réelle. C'est pour ça que c'est au centre du schéma. Égalité politique réelle. Les Athéniens savaient très bien qu'ils n'étaient pas égaux. Ils savaient très bien qu'il y avait des intelligents et des abrutis ; ils savaient qu'il y avait des vertueux, et des malhonnêtes ; ils savaient qu'il y avait des forts et des faibles. Ils savaient ça. Ils savaient qu'il y avait des gens qui étaient capables de gouverner un navire et d'autres qui n'étaient pas capables. Il n'était pas question de ça. Il était question de politique. « En politique, disaient les Athéniens, il n'y a pas de compétence, nous sommes tous compétents. » Pour donner de la force, pour donner sa force à ce principe central, d'égalité politique réelle, il fallait instituer l'amateurisme politique. Et que nous soyons tous, disait Aristote, dans une démocratie, les citoyens sont alternativement gouvernants et gouvernés, gouvernants et gouvernés, au hasard du sort. La procédure centrale qui rend possible à Athènes la rotation des charges, et donc l'amateurisme politique, et donc l'égalité politique, tout ça tient ensemble ! Si vous retirez le tirage au sort, vous perdez tout : vous perdez la démocratie. La procédure qui rend possible la rotation des charges rapide et l'amateurisme politique, c'est le tirage au sort. Au contraire, l'élection, qui consiste par définition - ça fait même pas l'objet d'un débat, ça -, l'élection, qui consiste à choisir le meilleur. L'élection ça consiste pas à choisir le plus mauvais, on est d'accord, je n'exagère pas, l'élection c'est pour choisir le meilleur. En réussissant ou pas, on cherche à choisir le meilleur. Le meilleur, aristos en grec. L'aristocratie, c'est le régime du gouvernement par les meilleurs. Alors, ce qu'Aristote observait déjà il y a 2500 ans, c'est que les aristocraties dégénèrent, se dégradent, toujours, dit Aristote. Déjà il y a 2500 ans, une aristocratie ça reste jamais longtemps une aristocratie, ça devient une oligarchie, dit Aristote. C'est une vieille affaire. Si vous voulez, jusqu'à il y a 200 ans, jusqu'à Rousseau, Montesquieu, tout le monde savait, c'était de la culture générale, tout le monde savait que l'élection est par nature aristocratique, et que la procédure de la démocratie c'est le tirage au sort. Tout le monde le savait. Ce qui me plaît dans la démocratie, c'est pas de trouver quelque chose qui est parfait, je sais bien que ce sera pas parfait. C'est pas du tout la question. Je cherche pas une utopie, un truc parfait. Je cherche à sortir d'une situation épouvantable dans laquelle les gens... On retourne à la guerre, là ; on retrouve les mêmes signes que ce qui a précédé les guerres mondiales précédentes. Mais pour les mêmes raisons, avec la même impuissance politique du plus grand nombre qui ne veut pas de la guerre, et la même puissance politique de ceux qui ont de l'argent, et qui veulent la guerre. Écoutez Guillemin, vous allez voir la genèse des guerres, la genèse des guerres napoléoniennes, la genèse de la Commune et de la guerre de 1870. La genèse de la guerre de 1914-1918, la genèse de la Deuxième Guerre mondiale. À chaque fois ce sont des guerres non nécessaires, des guerres manipulées, des guerres voulues par le 1 %. C'est très important d'écouter Guillemin. Vous allez comprendre ce qui est en train de se passer aujourd'hui. Alors, vous le savez déjà, en partie sûrement déjà, mais vous allez voir comme c'est plus... comme ça devient fort ! C'est-à-dire que ça devient pas seulement clair, ça devient puissant. On se dit : « Mais attends, il faut faire quelque chose, là ! » Donc je peux pas vraiment beaucoup détailler, j'ai pas beaucoup de temps. Ce qu'il faut quand même que je vous explique, c'est que le tirage au sort fait peur, il nous fait peur aujourd'hui. Quand je vous parle de tirage au sort, les premières réactions c'est : « Mais qu'est-ce que c'est que ce truc !? Le tirage au sort, et puis quoi encore ! On va donner le pouvoir aux tirés au sort ? » Non ! Justement, le tirage au sort ça sert à ne pas donner le pouvoir ; ça sert à le garder pour nous, nous tous les 99 %. Jusqu'ici... L'année dernière je disais « les riches et les pauvres » et ça posait un problème. C'est effectivement simple, je pensais aux ultrariches et puis les pauvres, c'est tous les autres. Donc ils sont pas vraiment pauvres, mais c'est nous, et nous avons du mal à nous identifier aux pauvres. On se considère pas comme pauvres, et donc ça collait pas tout à fait. Et puis les riches, On est tous... on sait bien qu'on est les riches de quelqu'un, ça collait pas tout à fait. Mais par contre quand je dis : 1 % de riches et 99 % les autres, on comprend mieux. Là c'est les Indignés qui nous ont donné ces mots-là, ça sert, ça parle mieux, parce que c'est ça, c'est toujours le même problème. Et donc, en démocratie, dans une démocratie digne de ce nom... Aujourd'hui ce que cherchent les Indignés quand ils disent : « On voudrait une vraie démocratie », eh bien les Athéniens avaient trouvé exactement ce dont ils ont besoin, ce qu'ils cherchent. Mais je trouve pas assez le tirage au sort dans la réflexion des Indignés. Ça leur manque encore, ils ont pas encore découvert le truc. Mais écoutez comment ça se présentait : à Athènes, pour que les 99 %, c'est-à-dire tous ceux qui veulent écrire les lois... Non, pas écrire, parce qu'on peut pas tous écrire les lois. Déjà, là, nous serions presque trop nombreux pour écrire les lois. Pour écrire la loi, il faut être un petit groupe. Mais nous voulons voter nos lois. C'est-à-dire que nous voulons dire, loi par loi, pas parti par parti, loi par loi, nous voulons dire, si nous sommes autonomes, si nous sommes des citoyens et pas de simples électeurs, si nous sommes des citoyens autonomes, nous voulons, disaient les Athéniens, nous voulons voter nous-mêmes nos lois. Alors, comment ça marche ? Eh bien, nous nous réunissons dans une grande assemblée où des gens viennent nous présenter... Donc il y a des orateurs qui viennent en bas de l'assemblée et qui disent : « Il faut faire cette loi pour cette raison ». Et puis un autre orateur... À 6 000 on discute pas, les gens dans l'assemblée ils peuvent demander la parole, ils descendent, ils viennent parler, mais il y a pas de bavardages ; on se tait à l'assemblée. On vote, et c'est à l'extérieur de l'assemblée qu'on parle beaucoup, pour préparer. Mais ensuite, au moment de l'assemblée, on vote. Et on écoute des orateurs. On écoute des discours successifs. Et pour faire marcher le système... L'assemblée ne peut pas tout faire. Elle peut pas donc préparer les lois. C'est pas elle qui va préparer les lois. Elle peut pas non plus exécuter les lois. C'est pas elle qui va aller faire la police, la justice... Donc l'assemblée athénienne, l'assemblée démocratique, ce serait des assemblées de quartier ici. Ici, on est à Montpellier, il y aurait sûrement plusieurs communes, plusieurs communes qui sont plusieurs assemblées. Mais assemblée par assemblée, nous avons besoin, notre assemblée a besoin de représentants, et dans une démocratie digne de ce nom les représentants ne sont pas les maîtres. Ce sont des serviteurs qu'il faut affaiblir pour qu'ils restent des serviteurs et qu'ils deviennent jamais nos maîtres. Et le tirage au sort sert à ça. Le tirage au sort sert à donner un tout petit peu de pouvoir, jamais deux fois de suite, et pendant pas longtemps. Alors, les tirés au sort à Athènes, c'était, par exemple, le Conseil des 500 qui était tiré au sort ; le Conseil des 500 qui préparait les lois. Ils faisaient comme des commissions au Parlement. C'est pas eux qui votaient les lois. C'est pas les représentants qui votaient. Donc le tirage au sort, vous en avez peur quand, premier mouvement, vous vous dites : « On va tirer au sort les gens qui votent à notre place. » Pas du tout, une démocratie ça ne marche pas comme ça. Les représentants, c'est pas eux qui vont voter les lois. Vous comprenez ce que je veux dire ? C'est nous qui allons voter les lois. Les 99 % qui veulent instituer une vraie démocratie, une démocratie digne de ce nom, ils mettent en place le tirage au sort parce qu'il savent qu'ils ont besoin de représentants pour écrire les lois, ou pour exécuter les lois, pour faire la police. Les policiers étaient tirés au sort. Les juges étaient tirés au sort : mandats courts, non-renouvelables avec des redditions des comptes à la fin. Il y avait une série de contrôles, en plus du tirage au sort, qui est exceptionnelle ! [Être] tiré au sort, c'était pas une sinécure ; c'était une série de charges et un danger : ils pouvaient perdre la vie au moment de la reddition des comptes. Bon, c'était des moeurs brutales, d'une époque plus brutale qu'aujourd'hui, On serait pas obligés aujourd'hui, évidemment, de faire pareil. On pourrait simplement les punir, sans les mettre à mort, on pourrait les punir, mais ce que je veux dire, c'est que la reddition des comptes, c'était sévère ! Qu'est-ce qu'il avait fait ? Pourquoi il l'avait fait ? On lui posait des questions jusqu'à être bien sûr qu'il avait bien servi l'intérêt général. Et s'il avait bien servi l'intérêt général, on lui faisait, un arc de triomphe, on lui rendait les honneurs, on le regardait avec reconnaissance, il avait une réputation, il avait le regard des autres dont je parlais tout à l'heure, qui lui servait de... Il avait pas besoin d'argent. Faut être un peu malade pour avoir besoin d'argent pour se donner du mal pour la société. La plupart d'entre nous nous donnons du mal pour le bien commun, sans avoir du tout besoin d'argent. On a besoin d'argent pour vivre, et puis voilà. Après ça, le fait que les gens soient reconnaissants et soient contents de ce que vous avez fait, ça nous suffit. La plupart des gens normaux, ça leur suffit. Il y a quelques malades qui ont besoin d'un million d'euros par an pour se donner du mal, mais ceux-là devraient être internés. C'est pas du tout le cas général. C'était juste une petite incise. Donc les tirés au sort étaient triés... ... pas triés. Ils étaient légèrement triés. C'est-à-dire que... Dans le schéma, ce que je suis en train de vous dire, c'est la partie droite, l'espèce d'alignement vertical de quelques contrôles qui étaient appliqués aux tirés au sort, parce que les Athéniens, comme vous, avaient peur de tirer au sort des abrutis ou des malhonnêtes. Bien sûr qu'ils avaient peur ! Mais ils avaient mis en place des contrôles qui leur permettaient de rien craindre du tout de ces tirés au sort. C'est-à-dire qu'il y avait le volontariat au début qui permettait de filtrer. C'est-à-dire que déjà ceux qui se considéraient comme incapables d'exercer les charges ne se présentaient pas au tirage au sort, et puis voilà ; donc ceux-là étaient filtrés déjà. Ensuite, il y avait l'ostracisme qui permettait de mettre à l'écart ceux dont on se méfiait. Et les Athéniens se méfiaient surtout de ceux qui parlaient bien. Les Athéniens, ayant une forte expérience politique qui est très intéressante à découvrir... On a plein de choses à apprendre de ce qu'ils ont mis au point politiquement pour se protéger des abus de pouvoir, des démagogues, de la corruption... Ils ont mis en place plein d'Institutions qui sont absolument passionnantes. Et donc l'ostracisme était une... Aujourd'hui, le mot « ostracisme » c'est un mot qui est négatif. Mais à l'époque, non seulement c'était pas négatif, mais c'était un mot très important pour la démocratie athénienne, parce que ça permettait de mettre à l'écart quelqu'un dont on avait peur. Or comme ils cherchaient la concorde, pour pacifier une société, il fallait absolument pas qu'il y ait d'individus qui suscitent de la haine, ou de la peur, une peur panique. Et donc les gens qui suscitaient cette crainte pouvaient, à l'occasion d'une procédure qui s'appelait « l'ostracisme », pouvaient être tenus à l'écart. Je vous en parlerai tout à l'heure si ça vous intéresse, vous me demanderez. En tout cas, il y avait le moyen de mettre à l'écart les gens dont on avait peur. Il y avait aussi la docimasie. Je garde le mot parce que j'aime bien ; il y a une poésie dans certains mots grecs comme l'isegoria, le droit de parole pour tous à tout moment, ou bien la docimasie, cet espèce d'examen, non pas de compétences, puisque je vous ai dit que la compétence elle était postulée comme égale parmi tous les Athéniens. Ils la postulaient. Ils savaient bien que peut-être il y avait... Mais ils postulaient cette égalité de compétences, mais par contre ils sentaient bien qu'il y avait des problèmes possibles d'aptitudes. Par exemple, un fou, un fou en plein, ben il fallait être capable de le mettre à l'écart. La docimasie servait à écarter les fous. Ils avaient aussi des critères - et nous pourrions réflechir à ces critères pour choisir les nôtres, modernes -, mais ils avaient des critères qui sont amusants, je trouve. Ne pouvait pas être tiré au sort, quelqu'un, et donc ne passait pas le cap de la docimasie, quelqu'un qui ne s'occupait pas bien de ses parents. C'est marrant de voir ça ; ne pouvait pas s'occuper du bien commun quelqu'un qui n'était même pas capable de s'occuper de ses parents. Une constatation de fait simple devrait nous conduire à étudier le système athénien, c'est que pendant 200 ans, ils l'ont pratiqué. S'il y avait tant de défauts, si c'était si nul, s'il y avait tant de problèmes, si c'était si douteux, ils l'auraient pas pratiqué pendant 200 ans, 200 ans c'est très long, c'est le même temps que ce que nous avons testé l'élection. Depuis 1789, il s'est passé en gros 200 ans. 200 ans à tester l'élection. Et à Athènes, il s'est passé 200 ans à tester le tirage au sort. Si c'était, s'il y avait tant d'objections graves, sans réponses, ça n'aurait pas duré 200 ans. Donc, cherchez, vous allez voir : ce qui vous paraît une objection, quand vous allez creuser... Il faut que vous bossiez ; vous allez bosser un peu mais vous allez voir, c'est passionnant. Si vous bossez, vous allez voir que ces objections ont trouvé leurs solutions. Quand je fais le bilan... Je parle pas de jugements, là, je parle des faits. Quand je regarde les faits de 200 ans de tirage au sort, et que je vois que pendant 200 ans de tirage au sort, c'est les citoyens, donc très majoritairement, mais presque exclusivement des pauvres qui votaient leurs lois et qui donc toujours pendant 200 ans ont voté les lois. Et ça a donné une société qui était prospère, riche, stable politiquement ; ils étaient pas du tout malheureux. Pas du tout plus malheureux que leurs sociétés voisines. C'était pas le chaos du tout. Ils avaient des problèmes, hein. La démocratie avait des problèmes qu'il serait d'ailleurs très intéressant pour nous d'étudier pour essayer de les éviter en améliorant le système, mais 200 ans de pratique ont permis aux pauvres de diriger sans écrabouiller les riches. Ils tuaient pas les riches, ils les volaient pas, les riches ont vécu... Ils vivaient très bien les riches à l'époque d'Athènes ! Ils vivaient beaucoup plus confortablement que les pauvres, hein. Ils avaient de grandes maisons, beaucoup plus d'esclaves, ils vivaient très bien, mais ils n'avaient pas le pouvoir politique. C'est tellement... On a du mal à concevoir ça, nous qui avons grandi dans un régime, depuis que tout petit, on a vécu... avec toutes les sociétés dans le monde dans lesquelles si on est riche, on a le pouvoir, on a tout ! Et si on est pauvre, on a pas le pouvoir, on a rien. Et il y a une synchronisation à laquelle nous nous sommes habitués, et je voudrais vous rendre sensibles qu'à Athènes, pendant 200 ans, grâce au tirage au sort, le pouvoir politique et le pouvoir économique ont été désynchronisés. C'était pas les mêmes qui étaient riches politiquement et riches économiquement. Alors qu'au contraire, pendant les 200 dernières années, le faux suffrage universel, dans notre fausse démocratie, avec les faux citoyens, ces élections qui sont de faux choix, pendant 200 ans - écoutez Guillemin, vous allez avoir le détail de ce que je vous dis -, pendant 200 ans, ce sont toujours, toujours les plus riches qui ont dirigé, voté des lois de riches pour les riches... sans exception, et les pauvres, jamais. Même pendant le Front populaire [1936-1938]. Même en 1981. Alors cette constatation que le tirage au sort donne le pouvoir aux pauvres, la démocratie, la vraie, donne le pouvoir aux pauvres, et que le gouvernement représentatif, l'élection, donne le pouvoir aux riches, ça devrait normalement... Peut-être pas adopter le truc tout de suite, parce que je sais bien qu'il faut du temps pour l'apprivoiser, l'idée, parce que c'est tellement... c'est bouleversant, il faut se désintoxiquer. Ça fait cinquante ans qu'on nous apprend : « Élection égale démocratie, démocratie égale élection. » C'est pas vrai ! Les solutions Alors, je quitte la démocratie athénienne jusqu'aux questions et juste, je voudrais devenir... parler concrètement de nos problèmes d'aujourd'hui, et quelles solutions j'imagine pour voir un peu ce que ça suggère chez vous. Est-ce que ça vous semble possible, jouable ? Qu'est-ce qui va pas marcher ? Quelles sont vos objections ? J'ai faim de vos objections, j'ai besoin de... En fait, depuis six ans je ne vis que dans la controverse, hein. Donc je me frotte sans arrêt, quasiment tous les jours, je suis dans une controverse, on me contredit, et on ne progresse jamais tant que dans la contradiction. Nous avons besoin de ça. Là, il y a toutes les chances pour que la plupart d'entre vous vous soyez... peut-être pas d'accord, mais souvent dans nos assemblées, on se réunit parce qu'on est plus ou moins du même avis, plus ou moins. Et ça c'est pas bon pour progresser. Ce qui est mieux pour progresser, c'est qu'on soit... Et c'est ça le pari de la démocratie ; à Athènes, l'idée géniale de la démocratie, c'est de réunir tout le monde, y compris surtout les gens qu'on déteste, pour mettre en scène les conflits : c'est ça qui est important. Pour prendre les meilleures décisions possibles, disaient les Athénienrs, nous devons donner la parole à tout le monde, l'isegoria. Donner la parole à tout le monde, droit de parole pour tous, à tout propos, à tout moment, Isegoria, super beau mot. Ce droit de parole et cette mise en scène des conflits permettaient d'éclairer comme il fallait les décisions. Ce que j'observe partout c'est que dans la Constitution, ne sont pas programmées toutes les règles qui organiseraient notre puissance. C'est-à-dire que dans ces anti-Constitutions manquent les institutions qui organiseraient notre puissance. C'est pour ça que nous sommes impuissants. C'est parce que rien n'est programmé pour nous donner de la puissance. Ça c'est une cause. On est déjà... Vous savez, je vous parlais de l'arbre des injustices sociales avec toutes ces conséquences, toutes ces branches que sont la corruption politique, les abus de pouvoir dans l'entreprise, la catastrophe écologique, le chômage, les bas salaires, etc. Toutes ces injustices sociales : toutes les discriminations, le racisme... Toutes ces injustices sociales, je les prends comme des conséquences de notre impuissance à nous battre contre elles. Nous sommes très nombreux, et il y a pas besoin qu'on soit tous, nous sommes déjà très nombreux à être prêts à nous battre contre elles, mais nous sommes impuissants. Je propose de nous en prendre à la cause de cette impuissance pour en venir à bout. Comme un malade [médecin] ne cherche pas à soigner le mal de tête en donnant de l'aspirine, il essaie de comprendre pourquoi il [le malade] a mal à la tête. Alors, pour les maladies plus graves, parce que pour le mal de tête, en fait, le temps que l'aspirine fasse de l'effet, la cause à disparu. Mais pour des maladies plus graves, le médecin, il va falloir qu'il trouve la cause de la maladie. Alors cette impuissance politique, d'où vient-elle ? Elle vient de la Constitution. Vous voyez, je remonte vers la source, je remonte vers la racine. Elle vient de la Constitution. Ah ! la Constitution. Alors comment se fait-il que ces Constitutions soient des mauvaises Constitutions ? Alors, j'essaie de comprendre. Mais mais mais mais qui a écrit ces Constitutions ? Qui les a écrites ? Alors, qui les a votées ? C'est toujours les peuples. C'est toujours les peuples qui votent les Constitutions. Et manifestement ça suffit pas à régler le problème puisque les Constitutions, comme je vous le disais, programment partout l'impuissance des gens. Donc le vote n'y fait rien. Ne vous contentez pas d'une Constitution qu'on va vous proposer au vote, c'est une arnaque. C'est pas là que ça se joue. Ce qui est important c'est pas qui vote la Constitution, ce qui est important, c'est qui l'écrit. Alors, qui l'écrit ? Partout dans le monde, à toutes les époques, qui écrit la Constitution ? Vous vous souvenez de ce que j'ai dit tout à l'heure ? Il y a nous, il y a les pouvoirs qui sont capables de produire du droit, utile pour nous et dangereux, et puis il y a ces institutions qu'ils devraient craindre. Qui écrit ces institutions qu'ils ne craignent jamais ? Eux-mêmes. Ma thèse. Et je me donne du mal, je viens vous voir, parce qu'il faudrait absolument que ça devienne votre thèse, que ça devienne notre thèse, que nous nous concentrions là-dessus. Si je suis tout seul, ça marchera pas. Mais si on est des millions, des milliards à dire : c'est pas aux hommes aux pouvoir d'écrire les règles du pouvoir. Il faut arrêter d'avoir des professionnels de la politique dans les Assemblées constituantes pour que ça cesse : le fait que ces professionnels de la politique programment l'impuissance des gens. Mais c'est normal, ils ont un intérêt personnel... Je dis pas que c'est des crapules. Je dis que, en tant que professionnels de la politique, même très vertueux, même très gentils, même très généreux, au moment d'écrire une Constitution qu'ils vont craindre, et qui va les empêcher de bosser, par construction, dans cette occurrence-là, ils sont en situation de conflit d'intérêt. Alors, conflit d'intérêt, c'est très important de comprendre ce mot-là, parce que c'est la clé, c'est la clé de toute la merdouille - on dit pas ça -, de toute la catastrophe dans laquelle on est. Écoutez bien : conflit d'intérêt, je vais vous donner un exemple, et je vais revenir ensuite à mon député constituant. Un conflit d'intérêt, c'est comme un juge, un très bon juge, un juge honnête, soucieux du bien général, soucieux de justice, mais vous n'imaginez pas. Il est pointilleux, pas une once de malhonnêteté. Un bon juge. Dans le rôle, dans le planning de ses affaires, arrive son propre fils. Ou sa fille. Soit en victime, soit en accusé(e). Tout le monde sur Terre comprend que ce juge-là, même un bon juge, il est incapable de rendre la justice pour sa fille, pour son fils, vous comprenez ça ? Ça s'appelle un conflit d'intérêt. Le conflit d'intérêt, ça veut pas dire qu'il est malhonnête, pas du tout, ça dit pas que c'est une crapule pourrie, pas du tout ! Ça dit que dans cette occurrence-là, il ne peut pas être juste. Alors qu'est-ce qu'on fait dans ce cas-là, partout dans le monde ? Et ça pose aucun problème, même pas au juge ! Lui-même va mettre un point d'honneur à se mettre lui-même à l'écart. On le récuse : ça veut dire on le tient à l'écart pour ce procès. Pourquoi ? Parce que là il serait juge et parti, il serait en conflit d'intérêt. Donc ça ne va pas. C'est très important, ça ne va pas du tout. Vous comprenez ça ? Eh bien, ce que je vous dis, c'est que les parlementaires, les ministres, les juges, les présidents, les journalistes, les banquiers, tous ceux qui exercent un pouvoir important. Les médias et la banque, il faut qu'on les mette à côté du parlement, du gouvernement et des juges, ça fait partie... Il y a pas trois pouvoirs, il y a cinq pouvoirs importants qui nous menacent, et qu'il faut affaiblir, contrôler avec une Constitution. Donc, tous ces gens-là, et y compris les candidats à ces fonctions-là, donc y compris les gens qui sont pas encore parlementaires, qui sont pas encore ministres, mais qui se projettent dans l'avenir, qui sont candidats à, ils sont dans un parti, ils vont l'être. Vous comprenez ça ? Donc tous ces gens-là, même s'ils sont très gentils, très vertueux, très bons, très dévoués au bien commun, au moment du processus constituant, au moment d'écrire une Constitution, au moment d'écrire ce texte qu'ils vont craindre, si cette Constitution est bien écrite, ils sont dans une situation radicale, criante de conflit d'intérêt, où ils ont un intérêt personnel contraire à notre intérêt général à tous. Nous avons laissé désactiver un outil génial qui est la Constitution, qui nous protégerait efficacement aujourd'hui contre les banquiers, tous les oligarques. Nous avons laissé vider de son sens un mot essentiel, un concept, un outil de protection juridique essentiel. Nous l'avons laissé vider de son sens en laissant écrire les Constitutions par ceux-là mêmes qui devraient la craindre. Donc la solution, elle est pas dans ces gens-là. Si on attend de ces gens-là que ça change, ça ne changera jamais, c'est pas ça la cause des causes, c'est pas eux la cause du problème. La cause du problème, c'est ceux qui les laissent écrire ces règles-là : c'est nous. C'est nous qui sommes paresseux... ou incultes. Ou... Oh déjà ça va pas mal, paresseux, incultes... ou couards, peureux. Je le dis gentiment, hein, parce que je... enfin c'est affectueux, c'est pas... Mais attendez, attendez, attendez... Si vous renoncez, vous, à écrire la Constitution, il faut pas vous plaindre de votre impuissance politique : c'est votre faute. C'est notre faute. Je crois que je tiens là... Et alors ce qui donne de l'espoir, c'est que si c'est en nous, ça peut changer... Ah ! Si ça tient qu'aux autres, et qu'en plus c'est des affreux qui sont en conflit d'intérêt, c'est mal barré ! Mais si c'est en nous et que c'est si simple finalement. C'est pas compliqué ! Je vous jure que c'est pas compliqué. C'est compliqué si on est pas nombreux, voilà. Si on 1000, 2000... Si on est 100 000 ça ne marchera pas, ils nous massacreront. « Ils », les Versaillais. Écoutez Guillemin, il va vous expliquer la Commune, vous allez comprendre ce que veux dire le mot « Versaillais », c'est épouvantable, et c'est les mêmes aujourd'hui qui nous... laminent ! Je pense aux Grecs. Mais nous sommes Grecs ! Je pense aux Palestiniens... Nous sommes Palestiniens ! Je veux dire, on va prendre... Ça va finir en camps de travail si on se réveille pas, quoi, hein. La révolution Internet Il me semble que l'Internet, qui est une révolution aussi importante, je pense, que l'imprimerie. L'imprimerie nous a donné le pouvoir de lire, a donné au peuple un droit incroyable pour s'émanciper qui est le droit de lire, mais qui suffit pas parce que nous ne pouvons... encore avec l'imprimerie, nous ne pouvons lire que les livres qui ont été écrits, en général, par des notables, des oligarques, des gens qui sont plus la même chose que la multitude. Ce que l'Internet nous donne, ce que l'Internet donne aux peuplex, aux peuples au pluriel, c'est le droit d'écrire. Et ça, c'est probablement aussi... on en a pas encore vu toutes les conséquences, mais c'est... et peut-être que je me trompe, mais j'ai l'impression que c'est au moins aussi important que l'imprimerie. C'est-à-dire que ça va nous permettre, cette éducation populaire dont nous avons besoin, pour remettre au-dessus des pouvoirs, au-dessus de nos élites, remettre au-dessus d'eux un texte qu'ils vont craindre enfin. À mon avis, ça peut tout changer.