- Y a les Indiens d'Amérique aussi, si je peux me permettre, certaines peuplades... - Alors, en Amérique la démocratie... - Le chef qui était élu comme chef c'était juste pour pouvoir se plaindre envers eux, mais ils avaient vraiment pas de pouvoir, quoi. - C'est génial ça. Les Amérindiens, c'est un autre exemple de démocratie à part Athènes ça ; mais on parle plus de processus constituant, là, mais... c'est intéressant quand même. Un autre exemple de démocratie à part Athènes, qui est un gros exemple pendant 200 ans, ça c'est un truc très robuste où ils étaient très organisés et l'organisation nous intéresserait aujourd'hui... Dans les sociétés amérindiennes, notamment chez les Iroquois. Mais presque tous les Amérindiens, donc les Indiens d'Amérique, avaient des chefs, mais des chefs qui n'avaient de pouvoir que en période de guerre. Donc en période de guerre les chefs avaient du pouvoir. Mais en période de paix, les chefs n'avaient pas de pouvoir. Donc ils avaient leurs plumes, ils avaient un trône, y avait un siège pour le chef... En fait, tout se passait comme si les Indiens avaient peur des voleurs de pouvoir. Et comme s'ils prévoyaient tout ce qu'il faut pour que la place du chef existe, pour que comme ça il y ait quelqu'un dedans, pour que le voleur de pouvoir puisse pas y aller, y a déjà un chef... y a déjà un chef. Mais par contre le chef il est là, il prend la place du chef mais, il a pas de pouvoir. Il a pas de pouvoir et on va lui montrer tous les jours qu'il n'a pas de pouvoir. C'est-à-dire que c'est lui qui va nous faire des cadeaux. D'abord quand on va le nommer, c'est nous qui allons le nommer, et il pourra pas refuser - c'est comme ça que ça marchait, hein - et puis une fois qu'il était nommé il fallait qu'il nous fasse des cadeaux. Et puis toute la journée, le chef, là, il blablatait, il palabrait, il parlait, blablablablabla... et on lui passe devant sans même le regarder. On l'ignore. On le... pour bien lui montrer que c'est le chef, mais c'est pas le chef, quoi. C'est rigolo ça, hein ? C'est-à-dire toutes les procédures que les Amérindiens mettaient en place eux-mêmes, pour se protéger déjà des abus de pouvoir. C'était autre chose que les Athéniens, mais c'est du même... c'est la même famille je trouve, c'est tout à fait ça. C'est intéressant pour nous de... Alors, à mon avis, c'est moins robuste. Je vois pas bien comment est-ce qu'on pourrait appliquer la même chose alors que... Vous allez voir que la démocratie athénienne, y a plein d'idées qui viennent et on se dit : ça c'est intéressant, ça ça m'intéresse, ça m'intéresse... Y a plein de choses qu'on peut prendre aux Athéniens, alors qu'aux Amérindiens... Je nous vois pas, je nous vois mal avec un chef qui bavarderait, et puis on lui passerait devant en l'ignorant. Ça va bien pour les toutes petites, toutes petites sociétés ça... Où est-ce que j'en étais ? Alors... Je vais reprendre mon fil parce que... Je m'étais arrêté à l'élection. Il y a 200 ans tout le monde savait que l'élection est aristocratique. Aujourd'hui on a complètement oublié, puisque je vous dis, tous les jours on nous rappelle que élection égale démocratie, démocratie égale élection... Il y a 200 ans, si on avait dit à quelqu'un, si vous aviez dit à Montesquieu, si vous aviez dit à Rousseau, si vous aviez dit à un penseur politique du XVIIIème, XVIIème, XVIème... sur 2 000 ans, 2 500 ans, vous auriez dit à quelqu'un, un politologue : élection égale démocratie, il aurait dit : ça va pas lui ? Tout le monde savait que l'élection est aristocratique. Mais c'est par définition ! Élection, élire, c'est choisir ! C'est vrai ou c'est pas vrai ? Élire, c'est choisir ; et choisir, vous allez pas choisir le pire : vous choisissez le meilleur. Par définition, vous choisissez le meilleur. Et le meilleur, c'est aristos. Aristos ça veut dire le meilleur. Aristos c'est... Aristocratie, c'est le pouvoir des meilleurs. Donc... c'est pas étonnant ! C'est pas étonnant qu'avec un régime fondé sur l'élection, on ait un régime aristocratique au début ; c'est-à-dire qu'au début, on choisit effectivemennt les meilleurs, et puis petit à petit y a des biais, des travers, et on élit plus les meilleurs, on élit une petite caste... Aristote déjà nous disait : « Toutes les aristocraties dérivent, se dégradent, dégénèrent en oligarchie. » C'est-à-dire le pouvoir d'un petit nombre, mais pas les meilleurs. Si nous arrivions... Et ça on peut peut-être le faire ensemble... c'est... génial ça, c'est vachement intéressant parce que si ça se trouve on pourrait imaginer un meilleur système que la démocratie ! Un système d'aristocratie tellement bien verrouillé, tellement bien pensé que nous aurions vraiment les meilleurs ! Les meilleurs d'entre nous ! Et qui devraient prouver tous les jours qu'ils sont les meilleurs ! Et dès qu'ils sont plus les meilleurs, on les vire ! Alors y aurait plus les meilleurs, y aurait plus les aristocrates héréditaires, parce que ça c'est une dérive mortifère ; enfin, quand l'aristocrate il est héréditaire, c'est plus le meilleur ! L'enfant du meilleur... Ou peut-être que le meilleur, il était bon à la guerre... On estimait que c'était le meilleur, d'accord, mais son enfant, il n'y a aucune raison qu'il soit lui aussi le meilleur... Dès que c'est devenu héréditaire, ils ont morpionné le truc. Mais on pourrait imaginer... Je vais pas ouvrir trop longtemps la parenthèse sur l'aristocratie, parce que... mais gardez ça dans un coin de votre tête. Je suis... par le jeu des controverses, des conférences, je me retrouve à être le défenseur du tirage au sort et même de la démocratie athénienne pur jus, pour montrer que c'est possible, que c'était pas si mal que ça, qu'il y a des tas de choses à en tirer. Mais je suis tout à fait capable d'imaginer une amélioration du gouvernement représentatif, voire même, une aristocratie, peut-être même... Là je vais peut-être vous faire dresser les cheveux sur la tête, mais je pousse le bouchon pour vous montrer comme je suis... Je suis open là-dessus... Même royaliste ! Mais pas royaliste au sens des Versaillais, hein, parce que là c'étaient des affreux, hein, mais royaliste avec une royauté constitutionnelle dans laquelle on a tout bien pensé... nous ! Tout le monde... pas eux, hein ; il faut pas que ça soit eux qui écrivent des règles pour eux-mêmes. Mais si le peuple lui-même a inventé des règles robustes, astucieuses pour que le roi - parce qu'il veut un roi - n'exagère jamais, quand il exagère on s'en débarasse, on en met un autre à la place ; ben, ça me dérange pas si vous voulez. Ce qui m'intéresse, ce que je cherche, c'est un régime robuste, durable, qui nous protège tous contre les abus de pouvoir. Et la démocratie ça marche drôlement bien là-dessus... Il faut vraiment que j'arrive à vous parler de la... On va bientôt mettre notre schéma, je vais vous parler de la démocratie athénienne ; mais y a plein de choses très utiles contre les oligarques dans la démocratie athénienne. Oui ? - Si c'était si bien pourquoi ils sont passés à autre chose ? Ils ont abandonné ou... - Alors ça c'est une des objections. Ben, je peux y répondre parce que c'est pas très long. Mais il y aura des objections, bien sûr, mais les objections c'est : si c'était formidable, on aurait continué. Alors, attends, si c'était formidable pour les 99 %, c'était pas formidable pour les 1 %. Or les 1%, ils étaient riches, hein ; ils étaient les philosophes, les Platon, Aristote, tous ces gens-là parlaient de la démocratie, décrivaient la démocratie, mais détestaient la démocratie. Platon, Aristote et pratiquement tous les philosophes, hein, y avait que les... les sophistes qui aimaient la démocratie et qui formaient les gens à... qui leur apprenaient à parler, qui leur apprenaient à se défendre, donc qui étaient des démocraties et qui le faisaient... et qui faisaient payer... Et Platon s'en moquait. Il s'en moquait en disant : « Qui c'est ces gens qui apprennent aux gens à parler, qui leur apprennent à mentir ? » Non, ils leur apprenaient pas à mentir ; ça c'est Platon qui le dit parce qu'il aimait pas la démocratie. Ils leur apprenaient à s'exprimer, à s'exprimer en faisant... en défendant bien leur point de vue, en mettant correctement en valeur les arguments... Et la plupart des philosophes étaient contre la démocratie. Et donc pendant 200 ans, les Athéniens qui étaient armés... C'est pas un détail, ils étaient pas que armés, ils étaient armés et c'étaient des soldats, c'est-à-dire qu'ils étaient armés et savaient se servir de leurs armes. Et à mon avis, c'est l'une des conditions de faisabilité. Je suis désolé, je suis moi-même complètement pacifique et désarmé ; je suis complètement à poil, hein, j'ai pas d'arme... Donc, j'ai été dressé comme ça et j'ai été complètement... Mais c'est un conditionnement, ça, et à cinquante ans je m'aperçois que je me suis peut-être fait un petit peu rouler quand même, parce que je vois bien que les gens non armés se font massacrer régulièrement ! Faut écouter Guillemin, quoi ! Je vais pas développer, mais c'est pas des mots en l'air j' veux dire. Y a des périodes de calme, et puis dès que nous nous mettons en tête d'arrêter d'être oppressés en disant : « Ça suffit l'oppression ! » Ceux qui sont pas armés s'en mordent les doigts, quoi. Bon je développe pas là-dessus ; enfin, c'est un sujet de discussion, parce qu'il y a plein de gens... ... des gens progressistes, de gauche et qui ont fait une croix sur les armes en disant : « Il faut que ce soit non violent, absolument. » Et quand je dis ça... « Qu'est-ce qu'il me raconte, lui !? »... Ben oui, je sais bien, moi aussi j'étais comme ça, mais je suis en train de me dire que... ... mais bon, c'est un débat ! Peut-être que j'ai tort, hein, mais bon, on verra, on en discutera. En tout cas, ces gens-là qui étaient armés ont pu pendant 200 ans imposer la démocratie en se débarrassant des oligarques. C'est-à-dire que quand il y en avait un, ils le zigouillaient, ou ils le mettaient... Alors ils le zigouillaient pas tout le temps, hein, ils pouvaient l'ostraciser ; on verra, c'est l'une des procédures. Donc ils s'en débarassaient, mais ils s'en occupaient, quoi, ils surveillaient, ils avaient leurs globules blancs. Et pendant 200 ans les philosophes ont méthodiquement écrit des centaines de pages pour expliquer que le coeur battant, le rouage central, la condition sine qua non de la démocratie, c'est le tirage au sort. Parfaitement identifié par les philosophes, et ça c'est mon explication du truc. C'est-à-dire que les Athéniens, ils ont fait... Bon, on pourra le prévoir d'ailleurs dans notre propre démocratie, faudra qu'on craigne ce danger : c'est-à-dire qu'ils ont fait des envieux ou des ennemis tout autour, donc les riches se sont coalisés autour. L'armée de Philippe de Macédoine est devenue un monstre, qui est devenue invincible pour eux. Et ils ont fini par perdre une guerre. Mais c'est contingent, ça, c'est accessoire, c'est non nécessaire, c'est pas... c'est non obligatoire, ça aurait pu ne pas arriver, c'est contingent. En tout cas, il se trouve qu'ils ont perdu une guerre. Ils ont perdu une guerre alors que le matériel idéologique, le matériel intellectuel pour que ça n'arrive plus jamais était là. Ils avaient compris. Après 200 ans, les voleurs de pouvoir qui sont pas arrivés à voler le pouvoir pendant 200 ans grâce au tirage au sort... C'est mon explication, c'est chouardesque, hein. Je m'appuie pas sur un bouquin pour vous dire ce que je dis là. Enfin, c'est ce que je lis dans les bouquins qui me fait deviner ça, mais c'est mon explication. Y en a peut-être d'autres que je rate, hein, parce que je suis pas omniscient, évidemment. Mais il me semble que si la démocratie n'a plus jamais pu avoir lieu, c'est parce que sa procédure centrale, indispensable - quand on fera le schéma, ça vous apparaîtra que c'est indispensable -, sa procédure centrale a été très correctement identifiée par les philosophes, qui en parlent tous très clairement. Tous les philosophes parlent très clairement du tirage au sort comme la règle de base d'une démocratie. Et si vous retirez le tirage au sort et que vous mettez l'élection vous n'avez plus de démocratie. - Ma remarque c'était pas pour vous dire que c'était pas bien, ma remarque c'est pour vous faire comprendre que ça demande beaucoup d'efforts... - Ah oui, oui, ça demandera des efforts, oui, je sais bien ça... - ... et que peut-être la nature humaine tend vers ce qu'on est actuellement... - Oui, oui, oui, absolument ! -... et que ça sera toujours comme ça, parce que on est des... - Alors, peut-être que vous avez raison, j'espère que non. Alors je répète avec le micro pour que tout le monde ait entendu. L'objection consiste à dire... il s'agit pas de dire que la démocratie est mal. Il s'agit de dire que puisque ça n'est jamais advenu à nouveau, c'est peut-être que la nature de l'homme n'y tend pas et qu'elle tend à l'oligarchie et qu'elle tend à... Alors, j'espère que vous avez tort. Peut-être que vous avez raison, je sais ça. Et je sais bien, je sais bien, il n'est pas question d'imposer la démocratie. Si on a... C'est comme le communisme, si on impose le communisme, ça fait une boucherie... À chaque fois qu'on l'impose, c'est une boucherie absolue ! Nous n'aurons la démocratie que quand nous l'aurons... D'abord quand nous arrêterons d'appeler « démocratie » son contraire. Donc faut qu'on sache déjà de quoi on parle, donc faut qu'on ait remis les mots à l'endroit, et que nous la voulions ! C'est-à-dire qu'il faut qu'on ait pesé les avantages, les inconvénients ; ça va nous demander plus de travail ; ça va nous apporter plus de protections contre les abus de pouvoir et contre les injustices, mais ça va nous demander plus de travail. Est-ce que nous y sommes prêts ? Est-ce que nous la voulons ? Est-ce que nous avons été suffisamment nombreux et convaincants pour convaincre une multitude d'y adhérer ? C'est pas parce qu'on n'y est pas arrivés encore qu'on n'y arrivera pas. Je répète qu'Internet est un outil qui nous permet de nous découvrir. On se serait jamais découvert avant Internet. Internet nous rend les connexions et la progression du groupe infiniment plus rapide... elle rend possible et tellement rapide que ça permet de rêver quand même. Parce que il y a quand même plein de gens qui sont capables de faire un bilan coûts/avantages en disant : bon, je vais travailler un peu plus, mais en même temps comme je vais me débarrasser de mes parasites banquiers... Donc je vais me libérer des milliers de milliards de ressources ! Je vais avoir besoin de beaucoup moins travailler quand j'aurai repris le contrôle public de la monnaie, hein ? C'est un sujet... C'est complètement lié, hein. Je vous en parlerai moins ce soir, mais faudra que vous regardiez les conférences, elles sont sur le Net. Mais ce que j'ai à vous dire sur la monnaie, c'est pas autre chose qui n'a rien à voir. C'est complètement intriqué comme deux organes d'un même corps, quoi, hein... On récupérera pas la création monétaire sans la Constitution, sans écrire nous-mêmes la Constitution, et on n'établira pas la prospérité et le peu de travail... avec un travail raisonnable, en travaillant deux fois moins, en travaillant deux jours par semaine, quoi ; on n'arrivera pas à une prospérité avec une une émancipation intellectuelle... parce que quand on travaillera moins, on pourra faire de la philo, de la musique, l'amour... des tas de choses qu'on fait plutôt mal ou pas du tout, parce qu'on est abrutis de travail ! Mais vous savez que la productivité a quadruplé, quintuplé, décuplé depuis la Deuxième Guerre mondiale. La productivité, notre travail est de plus en plus efficace, mais dans des proportions énormes !, depuis quarante ans. Est-ce qu'on travaille moins ? Non, on travaille pareil... quasiment... à une demi-heure par semaine... On travaille pareil, mais c'est parce qu'y a un truc : on a des parasites sur le dos. Je le dis violemment, mais c'est... quand je vous écoute... Je pourrais dire les Versaillais, comme on disait au moment de la Commune ; ceux qui étaient... ... ceux qui se sont rassemblés autour de la commune de Paris... donc les riches, hein, ceux qui s'étaient faits prendre... enfin qui s'étaient faits prendre... ceux qui avaient abandonné le pouvoir ; parce que les communards ont pas pris le pouvoir... On est encore en train d'ouvrir une parenthèse. Les Versaillais, en fait c'est... Les gens du pouvoir, les Thiers et compagnie qui se sont barrés, ils ont déserté Paris. Ils ont eu peur, l'armée n'a pas obéi, ils ont dit : oh la la, l'armée n'obéit pas, hop, on fout le camp ! Et ils sont allés à Versailles. Et là ils ont fabriqué une armée énorme pour revenir ensuite massacrer les communards. Donc... oui, oui, peut-être que vous avez raison, peut-être que ça n'adviendra pas parce que nous ne le voulons pas, mais il me semble que dans la ferveur que je trouve autour de cette idée qui va grandissant depuis un an, là... ça avance bien, il me semble, je trouve qu'il y a plein de gens qui voient bien... qui voient bien ce que c'est qu'une vraie démocratie, qui découvrent les leçons d'Athènes. Alors on prend pas tout dans Athènes, hein, y a des choses qu'on veut pas dans Athènes, évidemment, mais y a des choses qui sont vraiment sexys, attrayantes, enfin intéressantes à Athènes, et donc... Je trouve que cette... Y a une novation, quelque chose de nouveau qui nous rend une perspective possible, je trouve, qui me rend pas défaitiste. - Dans le cas d'Athènes... - Oui ? - Dans le cas d'Athènes quel était le pourcentage des gens qui habitaient à Athènes qui étaient susceptibles de prendre une décision ? - Ça va être une colle ça... Quel était le pourcentage des Athéniens qui étaient susceptibles de rendre une décision ? Vous parlez des êtres vivant à Athènes ou vous parlez des citoyens ? - Je parle des êtres vivants, bien sûr. - Ah ben non, mais... Pourquoi ? Comment ? Mais oui mais... - ... des êtres vivants qui sont moins être vivants que d'autres ? - Bah, bien sûr. - Les femmes et les esclaves... - Les femmes, les esclaves, les chiens, les chats, les enfants, les étrangers, enfin y a... - On s'est bien compris : on parle d'êtres humains vivants. - Ah vous voyez... Et moi je mettrais les animaux aussi, hein. Donc y a des débats, y a des débats sur : qu'est-ce qu'est le peuple ? J'espère que vous n'imaginez pas que je suis esclavagiste ou phallocrate. Je n'imagine pas une seconde une démocratie sans les femmes ou avec des esclaves ; vous imaginez bien ! Bah, ça fait une heure que je parle, vous avez bien compris que le truc c'est pas... Ce qui m'intéresse à Athènes, c'est qu'il y avait dans le peuple de l'époque... Et il faut comprendre que c'est pas raisonnable de juger, de le juger en termes de jugement de valeur, un peuple d'il y a 2500 ans avec nos valeurs d'aujourd'hui ! Ça s'appelle un anachronisme. On fait une erreur, on est en train de faire quelque chose qui n'a pas de sens. Quand nous serons, nous, aujourd'hui, jugés par nos petits, petits petits petits enfants, qui auront fini de manger de la viande et de tuer les animaux depuis longtemps ; ils fabriqueront de la viande artificielle qui sera bien meilleure encore que la viande qu'on connaît aujourd'hui, mais bien meilleure ! Et ils auront plus du tout besoin de tuer les animaux. Les animaux ce seront leurs amis, leurs frères, ils auront même appris à leur parler... Ils auront appris que, finalement, les animaux parlent, et ils parleront avec eux. Et quand ils sauront, quand ils nous jugeront aujourd'hui, nous qui les mangeons, qui les mettons dans des camps de concentration nazis ! Là c'est pas une exagération, c'est véritablement de la torture qu'on impose aux animaux pour pouvoir les manger pour pas cher. Quand ils nous jugeront, ils diront : mais c'étaient, c'étaient des monstres ! Est-ce que vous êtes un monstre ? Non ! Faut être jugé avec les critères de l'époque. Je dis ça pour que vous compreniez, mais je pense que vous l'auriez fait sans moi, que à l'époque d'Athènes, tous les peuples du monde étaient esclavagistes. Tous les peuples du monde traitaient mal leurs femmes. D'ailleurs le traitement, le mauvais traitement des femmes, ça continue encore aujourd'hui. Je sais pas si ça vous a échappé que les femmes ne sont encore pas traitées comme les hommes, pas du tout. Et y a quelques dizaines d'années, elles n'avaient même pas le droit de vote ! Donc c'est... Y a pas que les Athéniens qui étaient des barbares dont il faudrait avoir peur. Non, c'est le peuple de l'époque. C'était... Y avait pas les femmes, y avait pas les esclaves, y avait pas les métèques - les métèques, on appelait comme ça les étrangers - et c'est pas... Ce que je veux vous dire c'est que c'est pas ça qui m'intéresse, et c'est évidemment pas ça que je vais recopier... C'est un procès... vous me faites pas ce procès, hein, j'ai compris, mais c'est un procès que nous font les élus ! Les élus disent : « Mais Monsieur Chouard, vous êtes en train de défendre un régime esclavagiste ! Seriez-vous esclavagiste ? » Non, je ne suis pas esclavagiste. Je dis : c'étaient des critères, c'étaient des caractéristiques de l'époque qui n'étaient pas nécessaires à la démocratie. La démocratie, par contre, dans le peuple de l'époque y avait 99 % de pauvres et 1 % de riches. Ah ! Ah tiens ça, par contre, ça ressemble ! Ah ben oui parce que ça, dans tous les pays du monde et à toutes les époques, c'est transversal, le 99 %/1 %, et ça existait déjà. Ah, ça existait déjà ! Et alors ? Et ben et alors, pendant 200 ans ces gens-là... Je sais qu'ils avaient pas les femmes, je sais qu'il y avait pas les... ... mais écoutez ! Dans les citoyens, y avait 99 % de pauvres et 1 % de riches. Qui est-ce qui a dirigé pendant 200 ans ? Et pendant 200 ans les riches ont existé, hein ; ils ont existé et ils vivaient leur vie de riches, ils vivaient vachement bien, hein ! Ils étaient plus... ils vivaient plus confortablement que les autres, hein. Ils avaient plus d'esclaves, ils vivaient mieux que les autres, mais pendant 200 ans de tirage au sort, ceux qui ont dirigé, c'est les 99 %. Pendant 200 ans, les 1% de plus riches n'ont jamais dirigé. Ils ont vécu, ils ont vécu bien, ils ont vécu richement, ils ont vécu au milieu des autres, mais ils n'avaient pas le pouvoir politique. Le tirage au sort a permis pendant 200 ans... Écoutez bien, c'est ma façon de le dire, mais c'est ça qui fait que je me donne du mal pour comprendre le truc, pour être sûr que ça marche-ça marche pas ; et c'est ça qui m'intéresse parce que c'est ça qui est transposable. Pendant 200 ans, le tirage au sort a permis aux humains de l'époque qui faisaient société... Donc c'était plus petit que nous aujourd'hui, mais ça marcherait très bien en plus grand ! Le tirage au sort leur a permis de désynchroniser, de découpler la richesse économique - donc la richesse - de la richesse politique, de la puissance politique. Des gens qui étaient pauvres, qui travaillaient dans les champs, allaient voter les lois. Alors qu'il y avait des gens qui vivaient dans des palais, ne pouvaient pas voter les lois. Enfin, ils allaient à l'assemblée comme tout le monde, mais comme ils étaient peu nombreux, ils pouvaient pas voter les lois. - Ils étaient exclus ou... - Non, ils étaient pas exclus, ils étaient citoyens, mais comme ils étaient pas nombreux, ils pouvaient pas décider. Oui ? - Au tirage au sort, on peut avoir un vrai con. - On peut avoir un vrai con, ou un salaud. - Oui. - On en parlera tout à l'heure, si vous voulez... Évidemment, évidemment, mais évidemment ! En tirant au sort on pouvait avoir un... - C'est pas parce qu'il est paysan qu'il sera con. - Mais bien sûr ! Non, non, mais c'est un malentendu. Donnez-moi... faites-moi encore crédit une seconde que je vous explique, mais vous allez voir que j'ai une réponse parfaite pour ça, vous allez voir ! Une réponse costaud dont vous allez vous-mêmes pouvoir vous servir quand vous sortirez pour... Vous allez voir ! Elle est puissante cette objection, évidemment ; elle vient à l'esprit de tout le monde ! « Enfin, si on tire au sort un con ! Enfin, quand même ! Ou un salaud ! » Y a plusieurs réponses à ça. Donc je finis sur celle-là... Oui ? Excusez-moi. - Oui... À Athènes, c'est bien gentil, mais y avait peut-être 40 000 citoyens. - Ah c'est encore une autre objection ; c'est le nombre. Ils étaient 40 000 citoyens et aujourd'hui on est 40 millions. Ah Monsieur Chouard, vous êtes en train de nous... - Ils étaient capables de se rassembler dans un seul lieu... - ... se rassembler dans un seul lieu. Comment on va faire pour se rassembler à 40 millions ? Bon j'ai une réponse à ça aussi, mais alors après, dans l'ordre. Alors non, non, mais ces objections, j'ai pas du tout l'intention de les éluder. Je vous jure que je ne vais pas éluder, même tricher avec la moindre de vos objections. On va les traiter très correctement. Oui ? - Quelqu'un qui maîtrise les outils aussi, une personne... ... la communication, qui ait un savoir aussi... - ... qui ait un savoir... - ... et des diplômes... - Popopopop ! On va discuter, on va discuter ! - Je les appelle comme ça, mais peut-être... - Il faut qu'il soit compétent. - ... qu'il ait un savoir reconnu par les autres... - Il faut qu'il soit compétent. - Compétent... - Une autre objection repérée. Non, mais c'est super, c'est très bien ! On les a nos objections ! - Les mots sont les mots, alors « diplôme » j'ai pas d'autre chose... - Oui oui, tout à fait ! Non mais je dis pas que l'objection est mauvaise, elle est tout à fait intéressante et il faut la traiter ! Il faut la traiter. De deux choses l'une : ou elle est fondée et irréfutable, et dans ce cas-là on arrête d'en parler, parce que c'est vrai, vous avez raison, le truc est par terre, voilà. C'était... y a objection, le truc est... n'est pas viable, ça marchera pas, c'est un truc gravissime. Ou bien l'objection est une première... c'est une première idée, une première pensée, et puis ah oui, mais y a ça... ah oui mais y a aussi ça et ça... Les Athéniens... Alors, je vais vous répondre globalement. Je vais vous répondre globalement parce qu'il y a d'autres objections qui ne vous sont pas encore venues à l'esprit, et qui vont vous venir à l'esprit quand vous serez sortis, ou qu'on va vous sortir. Je vais vous répondre, je vais vous donner une réponse aux objections qui vaut pour presque toutes ; peut-être pas pour la taille mais qui vaut... ... qui est robuste. Les Athéniens étaient comme vous et moi, ils avaient les mêmes peurs que nous. Ils étaient pas fous du tout ! Ils étaient pas bêtes parce c'est il y a 2 500 ans. Ils étaient aussi malins que nous et ils étaient beaucoup plus entraînés à la politique que nous. C'est-à-dire qu'ils pratiquaient la politique, ils savaient de quoi ils parlaient, ils connaissaient bien tous les risques. Et ces gens-là, très avertis, qui auraient pas laissé passer un danger comme celui-là : on va tirer au sort un con, qu'est-ce qu'on fait ? Ils auraient pas laissé passer ça sans rien faire. Ces gens-là, ces Athéniens, pendant 200... 200 ans c'est ultra long, hein. C'est pas deux ans, c'est pas vingt ans, c'est pas cent ans... 200 ans c'est très long ! Pendant 200 ans ils ont tiré au sort quand même. Ah, c'est bien... - Est-ce que pendant ces 200 ans, est-ce qu'ils ont considéré donc, comme vous que l'instrument politique c'était à la limite un but, ou est-ce que c'est un moyen ? Si pendant 200 ans ils ont exercé un système politique tel, qu'il a laissé en place toutes les inégalités sociales... - Ils ne les vivaient pas comme des inégalités sociales. Oui ? - Ah ils ne les vivaient pas... Ah oui... - Bah, oui. C'est le peuple de l'époque, enfin... Non mais ça c'est... - Athènes pendant 200 ans c'est quand même une grande cité... - Oui ! - Un système politique, c'est un instrument, c'est pas... - Oui, c'est un instrument, absolument. - C'est un instrument pour améliorer la vie de la plupart des gens... - Absolument. - Faire en sorte de réduire les inégalités sociales, par exemple... - Absolument, absolument, absolument. Et d'aileurs, si vous... Je vous demande juste de me croire avant que je ne vous le prouve, mais il me semble que ce pour quoi je me bagarre là, c'est-à-dire arriver à instituer une vraie démocratie, mais une démocratie moderne, c'est-à-dire dans laquelle on aurait les femmes, on n'aurait plus d'esclaves, arriver... Si nous arrivions à instituer une vraie démocratie, c'est-à-dire si nous arrivions à comprendre pourquoi nous n'avons pas réussi à le faire ; et je pense que c'est parce que nous avons renoncé au processus constituant. Et je pense que si nous arrivions à faire une vraie démocratie, je pense que nous viendrions à bout de bien des injustices sociales que nous sommes obligés de supporter aujourd'hui. Je pense que mes copains marxistes, mes copains anarchistes, mes copains progressistes en général, les gars qui sont les plus... les plus virulents sur la... On veut la justice, quoi, hein, on veut Kropotkine, on veut la justice sociale ; je pense que ces gens-là devraient... J'ai pas du tout l'impression d'être en antagonisme avec eux. C'est-à-dire que ce que... Je crois que ça va marcher... C'est-à-dire que si nous arrivons... Le système politique que nous sommes en train de... de peaufiner, d'équilibrer en disant : faut faire attention à ce que ce pouvoir-là il devienne pas abusif, à ce que celui-là il devienne pas tyrannique, à ce que ce que celui-là ne devienne... Cette précaution d'horloger à ce qu'aucun pouvoir ne puisse abuser de son pouvoir, c'est ça une démocratie ; c'est un système dans lequel nous nous protégeons... Enfin, une démocratie modérée, hein, parce qu'il faut pas que l'assemblée elle-même puisse écraser ; faut pas que la majorité puisse écraser la minorité, par exemple. Donc, il faut penser aux rouages qui vont permettre aux minorités de se défendre. Je suis pas du tout... je suis pas fou, hein, je cherche... Je cherche pas à mettre en place un système qui va s'appeler démocratie parce que ça s'appelle démocratie, parce que c'est beau comme ça, parce que ça me plaît à Athènes, non pas du tout ! Mon fil d'Ariane, c'est la réduction... Je sais bien qu'on n'arrivera jamais à bout, complètement... enfin, je me fais pas d'illusions... Je sais bien qu'on n'arrivera pas à bout complètement des injustices sociales, il en restera toujours, mais mon objectif c'est bien de les réduire drastiquement, et d'interdire les abus de pouvoir. Donc, on est sur la même ligne, hein, ne vous méprenez pas, je... S'il vous plaît, je vous demande comme un service de pas... Dans une controverse, c'est Rabelais que j'aurais dû... C'est pas Rabelais, c'est Montaigne que j'aurais dû amener, qui dans « Les Essais »... ... décrit dans... c'est le chapitre huit du livre trois qui s'appelle « L'art de converser », qu'il faut... Il faut acheter « Les Essais » dans la version traduite de Lanly en français moderne, sinon on comprend rien. En vieux français, on bute sur tous les mots, c'est incompréhensible « Les Essais » ; alors que traduit par Lanly, c'est merveilleux. Vous allez voir, c'est lié à ce qu'on disait... C'est une petite parenthèse, mais qui est très utile, vous allez voir. Dans « Les Essais » Montaigne s'observe lui-même avec une telle honnêteté que ce qu'il trouve en lui-même, nous sert à nous comprendre nous-mêmes. Et dans ce qu'il dit de nos conversations, il dit : dans la plupart des conversations, par le jeu du ton qui monte et de nos egos, nous sommes conduits, malgré nous, à essayer de montrer que l'autre a tort et que nous avons raison, alors que normalement nous devrions, si nous... si les choses étaient bien faites, nous devrions tous les deux chercher la vérité... Dites-le autrement si ça vous choque, parce que vous considérez qu'y a pas une vérité, qu'y en a... mais nous cherchons à nous tromper le moins possible, et si nous cherchons à nous tromper le moins possible, quand l'autre nous dévoile une erreur, nous devrions être contents ! Bon, on a perdu parce qu'on se trompait, lui a raison, mais globalement on progresse puisqu'on a trouvé une erreur qu'on ne commet plus. Donc, ce que je vous demande comme un service, c'est d'essayer de pas prendre nos controverses, des désaccords d'un moment, comme une joute où l'un va gagner, l'autre va perdre, mais plutôt comme la recherche... Moi je suis en train de chercher un truc, je viens pas dire une messe, je viens pas dire un truc tout prêt, une vérité révélée ; je suis en train de réfléchir, c'est pas fini mon truc. Je continue à trouver des tas d'idées : super les Iroquois, là, récemment ; c'est une mine, une mine de trucs qu'on va pouvoir intégrer. Donc je cherche si vous voulez, je... Donc, je suis complètement intéressé par vos objections, mais le prenez pas comme si l'un des deux allait avoir raison et l'autre tort. Vous voyez ce que je veux dire ? À mon avis, nous gagnerons à essayer de trouver ensemble un système dont les voleurs de pouvoir ne veulent pas et qu'ils ne nous donneront jamais, et que nous seuls, ceux qui renonçons au pouvoir, qui voulons la justice sociale, mais qui voulons éviter les abus de pouvoir, mais qui ne désirons pas le pouvoir ; nous seuls sommes capables, je pense, d'inventer un régime, un mécanisme, un système d'horlogerie qui nous protège durablement. Qui nous protège contre les injustices sociales, qui nous protège tous. Alors... oui, alors... Si c'est une objection, faut que je traite les objections, mais peut-être on va allumer le schéma pour que... parce que vous allez voir que les objections, elles vont... je vais avoir besoin de... - C'est pas une objection, c'est juste par rapport à Montaigne ; je voudrais rajouter une petite chose. Le problème, on dit souvent l'exemple par le haut. À partir du moment où... Moi, je trouve que depuis pas mal d'années le débat politique, et même on va dire, même des débats scientifiques ou autres, est tourné plus vers l'affect que vraiment vers la réflexion ; on a l'impression qu'ils sont toujours Ils sont toujours... ils ont jamais, on ne trouvera jamais en face de l'autre une chose qui nous met en commun, ils sont toujours en contradiction. C'est sûr et certain que les gens sont habitués à ce genre de débats, à ce genre de... à ce genre de communication, et ça va être très très dur d'instaurer une autre communication plutôt que la communication conflictuelle... - Ça va être dur, mais faut pas renoncer. C'est vrai, nous avons une tendance... probablement... ... boostée par le spectacle... le spectacle qui nous est proposé à la télévision et au cinéma, où vraiment l'émotion et la violence sont omniprésentes et... - ... ils sont jamais d'accord... - ... et elles nous dressent à réagir émotivement. Et quand on réagit sous l'emprise de la passion, la raison recule, hein, c'est tout à fait vrai ça. Mais faut pas renoncer, je pense que là encore, si nous discutons, nous allons mettre au jour ce risque, cette faiblesse, et un homme averti en vaut deux, peut-être en venir à bout, hein.